Réflexions sur le chemin de croix des chrétiens

Le chemin de croix est une des notions chrétiennes qui est le plus ancrée dans notre inconscient collectif en tant que natifs d’une société modelée depuis deux millénaires par le christianisme et plus particulièrement par le catholicisme. Ce dernier en a d’ailleurs généré une forme de glorification du sacrifice et de la souffrance. Comme si cet épilogue avec son intensité dramatique mettait le reste au second plan.

Cette importance du chemin de croix dans la vie du chrétien est curieuse puisque dans la Passion du Christ, la montée au Golgotha est un épisode très court et peu détaillé dans les évangiles. Les différentes stations (épisodes ou invitations au recueillement, version chrétienne de la méditation) sont d’ailleurs objet de différentes interprétations : montée au Golgotha seule ou inclusion de la Passion dans son ensemble avec le dernier repas, la trahison et le jugement ainsi que la résurrection. Tout ceci aboutit même à un nombre différent de stations (14 ou 15).

Dans notre quotidien, vivre un chemin de croix, se sacrifier et souffrir permet au commun des mortels de répondre à l’inconscient collectif et permet de se rapprocher de la vie Christique et du statut de martyr, modèle consacré pour la vie terrestre et matérielle. Nous reproduisons ce schéma depuis deux millénaires, je te laisse ressentir le poids d’un tel égrégore et comment il nous façonne et nous limite.

Combien de fois nous sommes retrouvés dans la position de Jésus quand il est soumis au jugement du peuple, influencé par les prêtres et les scribes. Barrabas, meurtrier et voleur lui est alors préféré l’envoyant ainsi à la mort sous les quolibets. Les Barrabas de tout poil parsèment notre vie professionnelle et personnelle. Ce sont pourtant, au-delà de l’injustice que l’on peut ressentir sur l’instant, de formidables enseignants (on appréciera le clin d’œil de la langue des oiseaux en manière de chemin de croix!) qui nous montrent comment ne pas prendre les choses de manière personnelle. Trouver, tout comme Jésus, le bien-fondé dans tout ce qui nous arrive, la leçon que la Vie nous permet d’apprendre par ces mises en situations qui invariablement provoquent une attention accrue de notre part. Attention qui nous fuit dans le confort.

Là est peut-être le secret de ce monde de souffrance : devenir attentif au moment présent, ici et maintenant.

Avec l’allégorie de la Passion, Jésus nous montre la nécessité de mourir à soi-même mais également aux autres tout comme il montre la nécessité pour les disciples d’incarner la flamme Christique en et par eux-mêmes, sans guide auquel se raccrocher.

Il y a deux phrases qui sont importantes au moment de la crucifixion :

« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » et « Mon Père, pourquoi m‘as-tu abandonné ? ».

La première phrase nous montre le chemin pour savoir répondre à ceux qui nos tourmentent. La phrase mérite une intense réflexion : elle est une demande mais formulée avec un verbe à l’impératif. En elle-même, elle montre l’humain et la divinité qui a été placée en lui. Comme si Jésus s’adressait à sa part patriarcale susceptible de vengeance, alter-ego du pardon pour l’apaiser. Jésus, Homme, ne pardonne pas lui-même directement, il confie cela à la sagesse divine tout en sachant et en ayant exprimé que ce monde est un monde de conséquences (Luc 27 à 31). Finalement, ni vengeance, ni absolution (qui sont toutes deux des impasses génératrices de karma) mais une troisième voie comme un fil ténu entre les deux : lâcher-prise et confiance en la Justice de la Vie au-delà des limitations humaines.

La deuxième phrase « mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » nous montre qu’on ne se sauve que soi-même en trouvant la graine divine en nous et en la faisant enfin germer. Chacun de nous à à faire ce chemin sans béquilles, sans soutien, nu et donc authentique à la face de Dieu. Alors vient la résurrection, quand nos nous sommes dépouillés jusqu’à l’os de nos illusions et de nos attachements, quand on a quitté nos habits de bourreau, de victime et enfin de sauveur.

Ces deux phrases montrent également l’illusion du patriarcat et la résolution de cette voie. Jésus peut donc mourir à l’image que les autres ont de lui, mourir au sauveur, à la vie publique. Le protecteur, le patriarche est un leurre, un faux-père qui limite son enfant au lieu de l’accompagner vers la liberté comme la fausse-mère est castratrice et inhibitrice.

L’âme, ressuscitée, libérée de ce faux-père et de cette fausse-mère peut alors passer à la fin de son initiation qui elle, appartient à la sphère intime du Présent. Là se finit la Bible et là commence le mystère pour celui qui n’a pas encore achevé son chemin de croix, pas encore mort et ressuscité. Les hommes en sont là aujourd’hui, ils ont mis deux mille ans à parcourir le chemin du fils de l’Homme. Ils sont à l’Apocalypse, ce carrefour majeur où nous avons le choix de retomber dans les boucles karmiques, les griffes des faux-pères et des fasses-mères ou faire comme Jésus : commencer un nouveau chapitre de l’histoire.

Nous sommes sur le pont au milieu de cette histoire, des entre-mondes.